Vitaly Malkin
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11 septembre : le bruit et la fureur 

    Marty Lederhandler/AP

    Tout le monde, ces jours-ci, est invité à se demander où il était et ce qu’il faisait le jour où deux avions détournés par des terroristes ont percuté les tours jumelles du Word Trade Center. Chacun redira le choc, puis l’incrédulité, enfin la certitude immédiate qu’il était en train de vivre l’Histoire en direct. Quelques années plus tôt, devant l’effondrement de l’URSS, j’avais déjà eu l’occasion de vivre le genre d’événement qui bouleverse l’univers dans lequel vous avez vécu. Mais puisqu’il faut revenir sur cette catastrophe américaine aux répercussions mondiales, laissez-moi partager avec vous les sentiments qui m’animaient ce jour-là. 

    J’étais à Genève en voyage d’affaires. Je marchais tranquillement vers mon hôtel, en face de l’hôtel Beau-Rivage, sur les bords du Lac Léman, lorsque  j’ai reçu un appel de mon ex-femme. Elle se trouvait à New York, près de Time Square, loin du site d’impact, mais assez près de l’action pour que j’entende l’agitation derrière elle, les voitures de police, les sirènes des camions de pompiers. Quand elle m’a décrit ce qui se passait, je suis resté figé sur place pendant un long moment. C’était après la frappe contre la première tour. Vingt minutes plus tard, le crash du deuxième avion n’a plus laissé de doute sur l’intention criminelle derrière la catastrophe. Je me souviens parfaitement des pensées qui ont été les miennes au cours des heures suivantes, ces heures passées dans ma chambre devant les images diffusées en boucle sur CNN. 

    Bien sûr, j’avais pitié pour les morts, d’autant que les terroristes avaient frappé au coeur d’un secteur financier que je connaissais bien. Je m’étais déjà rendu dans les bureaux du World Trade Center. Je savais quel genre de personnes avait été visé. Des gens brillants, entièrement dévoués à leur travail, la crème de la méritocratie américaine. Dans l’analyse des couches de symboles qui entoure le 11-septembre, on n’insiste pas assez sur cet aspect des choses : l’Amérique, ce jour-là, a été attaquée au coeur de ce qui fait son succès. 

    Visions de fureur et de vengeance à chaud 

    Très vite, j’ai tenté de remettre l’événement dans sa continuité historique. Ce n’était pas le premier attentat dont était victime le pays. Je me souvenais des précédents de Beyrouth en 1983, des attaques conte les ambassades du Kenya et de Tanzanie, de celle contre un destroyer dans le détroit d’Aden en octobre 2000. L’Amérique avait déjà un ennemi. Mais clairement, l’ennemi avait changé d’échelle, et la signification de cette escalade rendait les choses évidentes : nous avions affaire à une guerre, une guerre de civilisation. Et dans la guerre, comme en amour, tout est permis ! 

    Les informations qui me parvenaient à travers l’écran ne faisaient que renforcer ce sentiment. Bientôt, on apprit que le Capitole et la Maison Blanche étaient des cibles potentielles (si je me souviens bien, personne ne parlait encore du Pentagone). En entendant qu’on évacuait le centre de la démocratie américaine, je me suis dit : si la Maison Blanche est détruite, alors la fureur des Américains sera incommensurable. Alors rien ne les retiendra dans leur volonté de se faire vengeance. Je me disais que la première puissance mondiale, le pays qui avait déclaré la guerre au Japon après Pearl Harbor, l’Amérique qui avait lancé le feu nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki réserverait un sort au moins similaire à ceux qui avaient osé commettre un acte d’une portée encore plus forte. Honnêtement, je les voyais déjà bombarder le ou les pays impliqués dans cette série d’attentats,  s’en prendre directement à l’Arabie Saoudite et au Pakistan, à tout le moins fermer les frontières et rompre les relations avec ces Etats notoirement connus pour être les plus gros soutiens au djihad international. 

    Cette certitude s’est encore accrue, les jours suivants, quand j’ai découvert les images de foules à Gaza, au Pakistan et ailleurs, qui se réjouissaient du drame. Plus j’y pensais, plus j’imaginais la colère des dirigeants américains, la fureur des généraux, les plans discutés jusque tard dans la nuit pour répondre comme il se devait à l’affront fait par les islamistes. Je les imaginais frapper vite et fort, y compris leur "allié" saoudien, vu que les terroristes étaient originaires de ce pays, à commencer par Ben Laden. J’imaginais (d’une certaine façon, j’espérais) une réaction sérieuse, déterminée, légitimée par la nature du drame et par la vague d’émotion qu’il avait déclenchée. Les Américains avaient le champ libre : à l’époque, ni les Russes ni les Chinois n’auraient réagi. Sur le plan intérieur, je les imaginais ouvrir non pas un, mais plusieurs Guantanamo, comme ils avaient interné des milliers de Japonais d’origine après l’attaque de Pearl Harbour, et ce afin de protéger les citoyens contre leurs intentions supposément malveillantes. Je les voyais fermer leurs frontières à toute forme d’immigration en provenance des pays musulmans.

    Bref, ma réaction à chaud a été virulente, agressive. Excessive, donc, et pour des résultats imprévisibles. Mais honnêtement, qui, parmi ceux que le 11-septembre a révulsé, n’a pas pensé la même chose ? 

    Vingt ans après, le sentiment d’une occasion manquée  

    Aujourd’hui encore, il m’arrive de juger trop faible la réaction américaine. Une chose est sûre, c’est qu’elle s’est révélée inefficace. Les Américains ont tourné autour du problème sans le frapper au coeur. Envahir l’Afghanistan pour y déloger des terroristes qui s’étaient réfugiés au Pakistan, et finir par voir revenir au pouvoir des Talibans plus forts que jamais… Conquérir et faire éclater l’Irak, l’un des pays les plus stables de la région, pas du tout impliqué dans le djihadisme, sous le motif fallacieux des armes de destruction massive, avec pour résultat de provoquer l’émergence d’un groupe armé encore plus violent qu’Al-Qaïda… Abandonner Mubarak, détruire la Libye, soutenir des opposants à Bachar el-Assad, bref, ne pas défendre les dirigeants qui tenaient encore leur Etat face aux visées islamistes… On ne peut pas dire que le bilan "de la guerre contre la terreur" soit particulièrement brillant. 

    Aujourd'hui encore, on se débat avec cette question : comment lutter efficacement contre le terrorisme islamiste ? Pendant des années, les Américains ont employé des moyens colossaux pour atteindre cet objectif : la capture d’Oussama Ben Laden. Objectif certes louable, mais insignifiant. Comment des gens aussi brillants, aussi éduqués, peuvent-il s’imaginer qu’un seul individu, fût-il un chef charismatique, joue autre chose qu’un rôle purement symbolique dans le cadre d’une idéologie de masse ? Surtout quand on se parle d’une idéologie aussi puissamment ancrée que l’islam radical ! Ben Laden est mort, d’autres sont venus après lui, d’autres viendront encore. Le combat n’a pas lieu contre des hommes, mais contre une idéologie.

    Tout ce qui s’est passé depuis le 11 septembre 2001 n’a fait que renforcer cette analyse. Naïvement, je pensais que l’horreur de l’événement aurait entraîné des réactions de rejet parmi les populations musulmanes. Je pensais que les élites progressistes de ces pays se seraient élevées contre le poids de l’islam. Parce que tout le monde a envie d’être libre, n’est-ce pas ? Dans mes pires moments de fureur, je pensais que des gens responsables auraient pris la décision salutaire d’enfermer ensemble les plus fanatiques, en attendant qu’ils se fassent exploser les uns les autres. Rien de tout cela n’a eu lieu, hélas.

    J’ignore si ma réaction initiale, inspirée par la colère, aurait permis d’atteindre de meilleurs résultats. Mais ce que je sais, c’est que les décisions prises depuis 2001 n’ont rien changé au problème. Peut-être même l’ont-elles aggravé. Vingt ans après le drame, ce qui domine chez moi, c’est le sentiment que l’Occident s’y est mal pris dans cette guerre au long cours que lui a déclaré un ennemi résolu à vaincre. Et la certitude que, face au terrorisme et à l’islam conquérant, la situation est encore plus précaire qu’au tournant du siècle.

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