Vitaly Malkin
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A l’ouest, rien de nouveau

    Photo by Gayatri Malhotra

    Photo by Gayatri Malhotra

    Les choses sérieuses commencent. C’est ce qu’ont pensé ceux qui, comme moi, observent les premiers pas de Joe Biden à la Maison Blanche, en l’entendant prononcer son discours de Tulsa, au début du mois de juin.

    Venu commémorer le massacre de trois-cents Noirs par la population locale, le président en a profité pour annoncer une série de mesures en faveur des Afro-Américains. C’est l’un des dossiers sur lesquels Joe Biden est le plus attendu. Depuis le début de son mandat, nombre de commentateurs ont en tête cette question : élu en partie grâce à la gauche identitaire (ou alors malgré elle ?), Biden profitera-t-il de ses quatre années au pouvoir pour faire passer dans le droit certaines revendications portées par les militants woke ?

    On sait combien la question de la race reste brûlante dans un pays traversé par une guerre culturelle intense. On devine que chaque mouvement en direction d’une communauté risque de réveiller l’autre, et d’accroître le ressentiment général.

    Un débat sans fin qui déchire l’Amérique

    Au cours de son mandat, Trump avait défendu la color blindness, à savoir la neutralité du pouvoir vis-à-vis des origines ethniques. Une politique avec laquelle Joe Biden semble décidé à rompre. L’un de ses premiers décrets  exigeait la mise en place de statistiques prenant en compte les caractéristiques «raciales, ethniques, de genre, de handicap», à la fois des salariés de l’État fédéral que des bénéficiaires de ses politiques.

    Le débat est sans fin. Voilà plus d’un demi-siècle que la discrimination positive a été mise en place aux Etats-Unis. Il existe sur le sujet une littérature abondante. Des batteries d’économistes ont tenté de mesurer les effets des politiques instaurées par les pouvoirs publics. Leurs résultats divergent. Si la situation des Afro-Américains reste globalement inférieure sur le plan socio-économique, c’est au choix, qu’il n’y a pas eu assez de discrimination ou qu’il y en a eu trop. Chacun puisera dans ce matériau « scientifique » pour appuyer sa démonstration, selon la conception qu’il se fait du sujet.

    Sur ces questions, l’un de mes penseurs favoris s’appelle Thomas Sowell. Cet économiste est peu connu en France, mais c’est une voix respectée du débat américain. Sa critique de la discrimination positive s’appuie sur l’expérience américaine, mais aussi sur des recherches menées partout où ont été mises en place des préférences de groupe : Inde, Malaisie, Nigeria, Canada… (voir son livre Affirmative Action Around the World. An Empirical Study, paru en 2004 et dont je recommande la lecture). Partout Sowell a constaté les mêmes effets délétères de  politiques a priori généreuses : inefficacité, persistance de la méfiance entre communautés, violence. Les partisans de l’affirmative action balaient ces critiques d’un revers de main au nom de considérations morales. Récemment, Sowell a dressé ce constat auquel je ne peux, hélas, que souscrire : « Si vous pensez que toutes les personnes, au-delà de la race, devraient suivre les mêmes règles ou être jugées selon les mêmes normes, alors vous auriez été qualifié de radical il y a 60 ans, progressistes il y a 30 ans et raciste aujourd’hui ». Formule qui prend toute sa mesure quand on sait que Sowell est afro-américain !

    Un remède pire que le mal

    Mon opposition à la discrimination positive est avant tout philosophique. Elle tient à la haute idée que je me fais de l’individu. Au fait qu’on ne devrait jamais cantonner les individus à une position subalterne. Tout miser sur leur potentiel en tant que personnes, et non comme représentants d’un groupe. L’idée qu’on puisse réserver des places à des individus en fonction de leur naissance me choque profondément. Qu’un pays se porte mieux si ses représentants sont à l’image de sa population, pourquoi pas. Mais ce raisonnement s’effondre pour des domaines comme la musique, le sport, la médecine, la cuisine, la menuiserie, que sais-je, domaines où seuls la compétence et le talent entrent en ligne de compte.

    La discrimination positive est le prototype de la fausse bonne idée. Elle entretient le ressentiment entre les communautés, comme l’ont très bien montré les procès intentés contre les universités de Yale et Harvard par des étudiants d’origine asiatique qui s’estimaient lésés par la politique des quotas. Elle entretient ceux qu’elle est censée aider dans l’idée de leur infériorité. Ce facteur psychologique est pour moi essentiel, et pourtant on ne s’y arrête jamais. Il y a de cela quelques mois, Glenn Loury, un économiste afro-américain (encore un traître aux yeux des woke) s’en est pris à la volonté du maire de New York de suspendre le concours d’entrée dans les lycées d’excellence au motif que les Noirs y seraient sous-représentés. Cela, expliquait Loury, reviendrait à leur dire qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les autres élèves. Qu’ils ne pourront jamais se montrer à la hauteur des plus hauts standards d’exigence fixés par la société. Et quand bien même ils le seraient, on ne leur aurait pas donné l’occasion de le prouver.

    On mesure mal le drame de l’individu « minoritaire » parvenu à occuper une position dans une société qui pratique l’affirmative action : où qu’il aille, quels que soient ses mérites, il devra subir de la part des autres, et sans doute aussi en lui-même, un éternel procès en illégitimité.

    Voilà pour moi l’enjeu crucial des prochaines années pour les Etats-Unis, comme pour les autres démocraties occidentales : soit on continue d’accorder toute son importance au mérite, soit on bascule dans un régime où l’ensemble des activités humaines est régi par son appartenance à un groupe. L’articulation entre l’individu, la communauté et la nation est l’un des sujets les plus importants de ce siècle. Ce qui se passe aux Etats-Unis a des effets au-delà du champ politique américain. C’est une question à laquelle je ne cesse de réfléchir. J’ai même écrit un pamphlet sur le sujet, lequel prend pour point de départ l’expérience soviétique. Patience : vous n’y échapperez pas !

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