Vitaly Malkin
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A propos des relations entre Russie et Ukraine

    Soupçonnée d’avoir des visées militaires sur le territoire ukrainien, la Russie se retrouve aujourd’hui au coeur de l’actualité. J’ai quitté mon pays natal il y a plus de dix ans. Il m’arrive d’y retourner, assez fréquemment. Pas assez toutefois pour offrir une opinion utile sur ce qui se passe en ce moment entre Moscou et Kiev. Ce que je peux faire en revanche, c’est m’appuyer sur l’analyse du passé pour tenter d’éclairer certains aspects de ce dossier brûlant.

    J’ai consacré un court essai à la façon dont la Russie impériale a traité la question des minorités, une histoire riche d’enseignements pour nos sociétés devenues multiethniques. Cette histoire, les Bolcheviks avaient cru la régler en instaurant une forme de discrimination positive, censée bénéficier aux ressortissants des nationalités soeurs. Dans mon texte, j’ai tenté de montrer en quoi cette politique a créé entre les différentes cultures de l’ensemble soviétique un climat de ressentiment et de méfiance qui a pourri les dernières années du régime, pour l’entraîner dans sa chute.

    La politique soviétique des nationalités, une catastrophe pour tout le monde

    En tant que voisine de la Russie, l’Ukraine a joué un rôle essentiel dans cette histoire. Déjà parce qu’elle possède avec la Biélorussie le redoutable honneur de constituer le berceau historique de la nation russe, qui plonge ses racines dans le Rus’ de Kiev. Des siècles plus tard, quand l’Empire russe a déroulé son expansion vers l’ouest, les vastes plaines ukrainiennes se sont retrouvées sous la domination de Moscou et de Saint Petersbourg. Comme tous les territoires soumis à un pouvoir impérial, de vives tensions se sont développées entre centre et périphérie, du moins en ce qui concerne la partie « ethniquement » ukrainienne (celle que le mouvement nationaliste ukrainien a construit comme telle).

    Dans la deuxième partie du 19e siècle, l’essor des nationalismes a incité les tsars à écraser toute manifestation de culture nationale sous une politique de russification forcée. Les Bolcheviks ont tenté de corriger le tir, pour des raisons à la fois idéologiques et tactiques. A leur arrivée au pouvoir, Lénine et ses sbires ont accordé à l’Ukraine un statut de République au sein du nouvel empire, un empire new look régi par le respect des nationalités, mais un empire quand même. On ne peut pas dire que le sort des Ukrainiens s’en soit trouvé amélioré lorsque le pouvoir moscovite, entre 1932 et 1933, a entraîné sa population dans la famine, causant la mort de 2,5 à 5 millions de personnes. Il a fallu des décennies pour faire la vérité sur cette page terrible de l’histoire soviétique, page récemment évoquée dans L’Ombre de Staline, un film que je recommande à ceux qui veulent découvrir cet épisode.

    Quelques lignes plus haut, j’ai employé le terme ethniquement en utilisant des guillemets. Non seulement parce que c’est un terme qui fait polémique en toutes circonstances. Mais aussi parce qu’il revêt une signification particulière dans le cadre de l’expérience soviétique. Les Bolcheviks ont en grande partie construit la question ethnique, fixant des populations entières dans des identités qui étaient bien plus flottantes qu’on aurait pu croire. L'autre chose frappante, c’est le caractère vaguement arbitraire qui a présidé à l’établissement des subdivisions à l’intérieur de l’URSS, toujours au nom du principe des nationalités.

    Lors du délitement final de l’empire, si des conflits violents ont éclaté entre populations, notamment dans le Caucase, c’est en partie à cause de ce découpage mal conçu et mal vécu sur le terrain. La manière dont les dirigeants communistes ont traité ce dossier, flattant certains, rabaissant d’autres au nom de basses considérations politiques et idéologiques, est une chose que tout le monde paie encore aujourd’hui. Y compris en ce qui concerne l’Ukraine. Pour le détail de cette histoire, j’invite les lecteurs qui le souhaitent à consulter ce petit fascicule libre d’accès.

    Le fruit d’une histoire non soldée

    Vladimir Poutine a qualifié un jour la chute de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle ». Une phrase capitale pour comprendre toute la politique du Kremlin depuis son accession aux responsabilités, quoi qu’on pense par ailleurs de cette politique.

    A trente ans d’intervalle, la chute de l’Union Soviétique nous apparaît comme un événement logique,  prévisible, rétrospectivement inéluctable et moralement salutaire. La vérité, c’est qu’elle a pris tout le monde par surprise. Le détonateur de cette explosion n’a pas été l’incurie de ses gouvernants, ni l’absence de liberté, ni la faillite de l’économie dirigée, mais la question des nationalités. Les choses se sont passées extrêmement vite, dans l’impréparation la plus totale. Du jour au lendemain des gens qui se pensaient frères se sont retrouvés à vivre dans des pays séparés. Les voilà désormais ennemis potentiels.

    Ce qui se passe aujourd’hui à la frontière ukrainienne a des explications multiples. Celles-ci tiennent en partie à la façon dont la Russie entend maîtriser son étranger proche, en partie à la place qu’elle croit devoir occuper dans le monde. Mais il ne faut pas oublier une chose : cette escalade regrettable entre voisins si proches est avant tout le fruit d’une histoire non soldée. Une histoire qui continue de hanter les esprits, à Moscou comme ailleurs.

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