Vitaly Malkin
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En hommage à Virgil Abloh

    La pochette de l’album 'Watch the Throne" de Jay-Z et Kanye West

    La pochette de l’album 'Watch the Throne" de Jay-Z et Kanye West

    J’ai ressenti une grande tristesse cette semaine, à l’annonce de la mort de Virgil Abloh. Le directeur artistique de la maison Louis Vuitton incarnait le genre d’artiste talentueux, impliqué et multiforme auquel je voue une admiration sincère. En plus, il avait eu le bon goût de commencer sa carrière sous l’égide de Kanye West, l'un de mes rappeurs préférés.

    C’est à Chicago que les deux hommes font connaissance à la fin des années 2000. Abloh est alors à la tête de la RSVP Gallery, un concept store au croisement de l’art, du design et de la mode. DJ à ses heures il sympathise avec Kanye West, qui le nomme « directeur artistique » de la marque qu’il incarne à lui tout seul. On lui doit notamment la pochette de l’album Watch The Throne, sommet de la collaboration entre West et Jay-Z.

    La triomphe de l’outsider

    Toujours dans la roue de son mentor, Abloh lance alors une OPA sur le monde de la mode. Les deux hommes commencent par un simple stage d’observation auprès de Karl Lagerfeld, chez Fendi. Trois ans plus tard, Abloh crée son premier label, Pyrex Vision, suivi en 2013 du lancement d’Off-White à Milan. Voilà notre homme devenu créateur, l’un de ceux qui vont redéfinir le style de l’époque.

    En 2018, le président de Louis Vuitton l’invite à diriger ses collections masculines, poste qu’il occupait encore au moment de sa mort. Et c’est ainsi qu’un Américain né en 1980 de parents immigrés ghanéens, un homme qui ne jurait que par le rap et le skate board est entré chez LVMH, dans l’une des maisons les plus vénérables du géant français du luxe. Rares sont les ascensions aussi fulgurantes dans un univers aussi codé. Surtout pour quelqu’un qui n’avait aucune formation de départ. La preuve, comme je l’ai toujours pensé, que le talent et l’audace peuvent ébranler bien des forteresses.

    Le talent, l’audace et le sens du timing. Car pour imposer sa vision, Virgil Abloh a su s’appuyer sur deux révolutions majeures : d’abord, la révolution des réseaux sociaux, qui ont offert à ses créations des relais massifs et stratégiques grâce à ses amis influenceurs. Ensuite, celle du rap, auquel il devait son esthétique et sa façon de travailler, axée sur la multiplication des projets vite (et bien) ficelés, les collaborations tous azimuts. Le succès de Virgil Abloh revêt à mes yeux une importance fondamentale sur le plan culturel : c’est le moment où le hip-hop est devenu un phénomène incontournable, une façon de vivre qui façonne les imaginaires depuis la rue où il est né jusqu’aux défilés auxquels se pressent les stars et les millionnaires.

    Et puis il y a cette dimension souvent relevée dans les nécrologies qui lui sont consacrées : c’était le premier noir à occuper un poste de cette envergure au sein d’une maison telle que Vuitton. A ma connaissance, Virgil Abloh n’en a jamais fait un motif de revendication. Il ne se sentait pas tenu, comme d’autres, de tout ramener à des questions d’origine et de justice sociale. Il se contentait, et c’est déjà énorme, de créer, d’innover, de donner du bonheur au monde. De créer à une vitesse folle, conscient, peut-être, que sa trajectoire serait courte.

    Un homme qui se jouait des étiquettes pour mieux inventer la sienne

    Virgil Abloh incarnait à merveille le slasher, cette figure de l’époque qui refuse de se laisser enfermer dans une catégorie. C’est cela aussi que j’appréciais dans sa personnalité. Touche à tout, il s’intéressait aussi bien à la mode qu’à la musique, à l’art contemporain ou à l’architecture, qu’il avait étudiée à l’université. Il rechignait à se définir comme couturier, préférant, puisqu’il fallait bien choisir, l’appellation de designer. Quelque part, il me fait penser à ces artistes de la Renaissance, aussi bien peintres que sculpteurs ou architectes.

    Sauf que lui travaillait d’abord le vêtement. Il le faisait en fan et en bidouilleur. En remixeur. Pour l’une de ses premières collections, il s’approprie des pièces dans les stocks d’autres marques, pièces auxquelles il coud le numéro 23 de Michael Jordan. Quand on l’accuse de récupération, il se réclame de Marcel Duchamp. Mais son grand geste créatif aura été d’imposer sur les podiums des lignes issues de la culture street, voire du monde du travail (le workwear). En quelques années chez Vuitton, il aura donné une légitimité nouvelle à la basket et au hoodie, participant ainsi au renouvellement des formes, à leur rajeunissement. C’est grâce à des gens comme Virgil Abloh que des boomers comme moi peuvent aujourd’hui s’habiller comme des rappeurs ! 

    Virgil Abloh s’est éteint ce week-end à l’âge de 41 ans, victime d’un cancer qu’il combattait en secret depuis deux ans. Voir disparaître aussi tôt un homme aussi doué, qui avait encore tant à donner, un homme pour qui être soi-même n’a jamais posé problème, c’est bien sûr une tragédie. Mais pour tout ce qu’il aura fait de son bref passage sur terre, je dis : respect.

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