Vitaly Malkin
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Les alarmants reculs de la laïcité à l’école

    A la lecture du passionnant dossier du Point sur la laïcité à l’école, je confirme une de mes intuitions : les débats stériles sur le voile et la burka ont servi de cache-misère à l’absence de débat sur la laïcité à l’école. Trente années perdues pendant lesquelles la laïcité, toujours pleine de bonne volonté, s’est fourvoyée. Dans ce grand dossier, la question du voile ne surnage qu’à peine, débordée par tant de sujets bien plus graves, choquants et dérangeants. Pour les tenants de la laïcité, elle fut sans doute un piège. Cette focalisation a fait passer l’école à côté des vrais sujets qui la menaçaient, de la radicalisation et du séparatisme en germe en France. 

    En s’emparant du voile, la laïcité s’est-elle toujours trompée de combat ? Sans aucun doute, car elle a montré du doigt des faibles, aux intentions illisibles, elle a divisé le camp universaliste et républicain, alors qu’un ennemi fort de la République, des valeurs républicaines, restait dans l’ombre. Tapi dans l’ombre de l’opinion publique, mais déjà omniprésent dans les quartiers, dans les esprits, plaçant l’école, les professeurs, les proviseurs devant des situations impossibles et inextricables.

    Même depuis les attentats de 2015, la prise de conscience reste imparfaite. Nous avons tous entendu parler des visions inquiétantes de Soumission, le livre de Michel Houellebecq, et des cérémonies chahutées contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Cacher. Mais “personne, écrit le journaliste du Point, n’avait mesuré que la laïcité suscitait un mouvement de rejet aussi profond de la part des familles musulmanes issues de l’immigration”. “Si la gauche laïque n’a jamais éprouvé de difficulté à combattre l’Eglise, elle se découvre hésitante face à l’ampleur du contrôle qu’exercent les religieux musulmans dans certains quartiers.”

    Un rapport de 2004, enterré, dévoile le communautarisme

    Dès 2004, donc, un rapport sur “les signes et les manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires”, piloté par l’inspecteur général Jean-Pierre Obin, s’inquiète du communautarisme. Selon son préambule, “les interrogations se multiplient sur les conditions de mise en oeuvre de la laïcité, notamment dans les établissements scolaires (...) aucune étude n’est disponible.” Malgré leur discours de fermeté républicaine, les ministres de droite qui se sont succédé à l’époque font le dos rond. Après tout, plaide le ministre de l’Education nationale, on vient d’imposer la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires dans les établissements publics. Or cette loi s’attaque aux manifestations -le voile, toujours...- mais se révèle bien faible pour s’attaquer aux causes. Las, le ministre suivant déclare le rapport… “caduc” !

    Bien inspiré, l’un des inspecteurs généraux, Alain Seksig, organise la fuite du rapport. “L’offensive wahhabo-salafiste était déjà présente, explique-t-il aujourd’hui, elle a pris les jeunes pour cibles en leur vendant une identité cantonnée à un moule religieux exclusif. On leur a fait miroiter qu’une vie ratée se rattraperait par une religiosité aliénante, ça a pris.”

    Des exigences étourdissantes, tous azimuts

    Notez que, dans le contexte décrit par le Point à l’école, elle l’est déjà. Dans les lycées hôteliers, les élèves refusent de manipuler certains plats. Alors que des repas sans porc sont désormais proposés partout, c’est la viande tout court qui est maintenant déclarée interdite, et des parents d’élèves exigent que les personnels de la cantine surveillent le contenu des assiettes de leurs enfants. D'autres demandes -déposées par des imams auprès des académies- s’attaquent à la mixité religieuse: revendications de vestiaires, toilettes ou de piscine séparés pour les garçons musulmans et les autres, les “circoncis” ne devant pas être mêlés aux non-circoncis. Autant de nouveaux griefs qui s’ajoutent aux revendications des islamistes contre la mixité des sexes à l’école ou l’éducation sportive pour les filles. Dans ce contexte de revendications échevelées, la lecture d’un sondage réalisé pour Charlie Hebdo n’est pas de nature à nous rassurer. À la question : « Faites-vous passer vos convictions religieuses avant les valeurs de la République ? », 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l'islam avant la République.

    Enseigner le fait religieux à l’école : une fausse piste

    Face à ce gouffre, d’aucuns critiquent “une sorte d’obscurantisme antireligieux régnant sur les programmes scolaires”. En somme, une laïcité aveugle au phénomène religieux. Comme je l’explique dans la Marche à rebours, je constate plutôt l’omniprésence exponentielle des religions dans notre société, dans les esprits des enfants, et il me paraîtrait sage de préserver l’école de ce mouvement. Le sondage mentionné ci-dessus semble assez clair sur le sujet! De plus, l’introduction d’un enseignement laïque du fait religieux à l’école a largement contribué à ouvrir les portes des établissements scolaires aux représentants des cultes. Des initiatives souvent prises au lendemain des attentats de novembre 2015 pour promouvoir une vision apaisée des religions. Mais qui vont évidemment à l’encontre du principe de laïcité. 

    Face à cette lame de fonds, bien sûr, l’autocensure guette. Des professeurs renoncent à la laïcité. Les programmes - surtout l’histoire-géographie, l’éducation physique, et sans surprise... l’éducation laïque des faits religieux - font  l’objet d’une contestation massive. Ainsi, selon les chiffres cités par le Point, 37 % des professeurs déclarent s’être autocensurés pour éviter des incidents. Ils sont 53 % dans les écoles et collèges de l’éducation prioritaire. Souvent en catimini, comme ce professeur de la banlieue lyonnaise qui supprime des oeuvres de la littérature américaine du programme - le pays étant considéré comme le diable par les islamistes. 

    “Proximités antilaïques”

    “La querelle entre les partisans des accommodements raisonnables et les tenants de la laïcité se poursuit encore aujourd’hui”, déclare Jean-Pierre Obin, l’auteur principal du rapport de 2004, au Point. Il pointe, lui aussi, les ambiguïtés de la droite, partie prenante de la politique des grands frères - ou l’embauche d’islamistes à des postes d’animateurs socioculturels. De nombreux députés de ses rangs avaient voté contre la loi sur la voile en 2004, “car l'Église était contre et ne cessait de le répéter”. Jean-Pierre Obin n’hésite pas à parler de “fortes proximités antilaïques”, souvent diluées dans un républicanisme bon teint. 

    La droite, comme je le montre dans La Marche à rebours, a affaibli la laïcité en se réclamant sans cesse des valeurs du christianisme. Au risque d’une laïcité bipolaire : sévère envers l’islam, et indulgente, voire maternelle, envers le christianisme. L’analyse de Jean-Pierre Obin aggrave cette logique : pour dépasser cette contradiction, la droite finit par se montrer timide sur toutes les questions de laïcité.

    Quant à la gauche, bien sûr, ses tolérances vis-à-vis du communautarisme sont connues - une étrangeté propre à l’Occident “car, dans le monde musuman, il n’y a plus un seul pays où la gauche marxiste a pour programme de nouer des alliances avec les islamistes”, rappelle Jean-Pierre Obin. Autrement dit : au contact des islamistes dans des pays où ceux-ci expriment leurs idées sans retenue, aucun progressiste ne se fourvoierait avec eux.

    Pour éviter ces deux écueils, la laïcité doit au contraire se montrer d’une égale rigueur envers toutes les religions ! Cette exigence d’équilibre constant est au coeur de ma réflexion. Une rigueur indispensable, faute de quoi la laïcité apparaîtra très vite comme une citadelle assiégée, affaiblie et contestée de toute part. 

    Le risque de la capitulation

    Jean-Pierre Obin écarte ou met en garde sur un tas de fausses bonnes idées. Il mentionne l’exemple d’un principal qui, confronté au boycott de la visite scolaire d’un lieu chrétien par des étudiantes musulmanes, décide de consulter l’imam de la mosquée locale - connu pour être modéré. Celui-ci confirme qu’il n’y a aucune opposition à la visite culturelle d’un lieu chrétien. Puis s’invite au lycée pour faire un exposé sur le sujet. Cet exposé a lieu, puis le curé de la paroisse demande lui aussi à être invité. Le principal, voyant l’engrenage, refuse.  

    Même si les préoccupations contemporaines les plus aiguës concernent l’islamisme, l’école, confrontée à une altérité radicale, doit plus que jamais incarner une laïcité forte, sans complaisance à l’encontre de toutes les religions.

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