Vitaly Malkin
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Les échecs, mon école de la vie

    Comme beaucoup de mes compatriotes, je me passionne pour le championnat du monde d’échecs qui oppose actuellement le prodige norvégien Magnus Carlsen à son challenger russe Ian Nepomniachtchi. A l’heure où j’écris ces lignes, juste avant le début de la dixième partie, le tenant du titre a pris sur son challenger un avantage quasi-insurmontable. Il paraît bien parti pour conserver la couronne conquise en 2013. Si ça se confirme, bravo à cet immense champion ! Et bravo à Nepo, qui confirme que les Russes continuent de briller dans une discipline où ils ont longtemps joué les premiers rôles.

    La Russie est depuis longtemps une terre d’échecs. Elle a donné au monde quantité de grands maîtres. Des personnalités parfois hors normes, dont certaines ont marqué les esprits. Je pense à Mikhaïl Tal, (en l’occurrence natif de Lettonie, qui a longtemps appartenu à l'URSS) avec son look destroy, son éternelle cigarette et sa réputation d’immense séducteur. A Viktor Kortchnoï qui, opposé un jour à Che Guevara, a refusé de lui faire grâce d’un match nul au nom de la dignité du jeu (bien fait pour cet assassin). Et comment ne pas penser à la rivalité entre Anatoli Karpov et Garry Kasparov qui a marqué les dernières années de l’Union soviétique ? En 1985, au début de la Pérestroïka, leur duel a offert une telle opposition de styles (la stagnation contre l’audace) que la victoire du deuxième a été perçue comme un signe annonciateur de la chute finale.

    La Russie, terre d’échecs

    Il fut un temps où les grands maîtres étaient si populaires, et leur domination sur les championnats du monde si implacable, que le Kremlin voulait y voir la preuve de la supériorité du régime communiste. Si bien qu’après la Seconde guerre mondiale, le champion d’échecs a rejoint dans la propagande officielle l’ouvrier valeureux, le cosmonaute intrépide et le soldat libérateur de la patrie.

    Les échecs ont longtemps fait partie du cursus scolaire des petits Soviétiques. Ils ont été l’une des plus grandes joies de mon adolescence. J’ai même connu la victoire, à ma modeste échelle, remportant plusieurs olympiades locales. Comme tout le reste, la discipline faisait l’objet d’une appropriation idéologique dégoutante. Mais quand on jouait, la politique passait au second plan. Chaque partie était un défi, un duel entre deux êtres singuliers où la seule chose qui comptait, c’était l’intelligence pure. Les échecs étaient la négation des discours fallacieux sur l’égalité réelle, et chacune de mes victoires un pied de nez au régime.

    Une chose frappante dans les échecs, c’est leur simplicité. Une planche suffit, avec ses 64 cases et ses 32 pièces, qu’à la limite on peut bricoler soi-même. C’est un peu comme au football, où on un ballon suffit pour briller, raison pour laquelle on y joue dans toutes les rues, dans toutes les favelas. Les échecs ne sont pas une discipline où il est nécessaire de posséder un matériel coûteux, ni de rejoindre un club hors de prix. Ce n’est pas une discipline bourgeoise. C’est sans doute ce qui explique pour partie l’engouement dont il a fait l’objet au Paradis des Prolétaires.

    La discipline méritocratique par excellence

    Mais derrière cette simplicité matérielle, se cache un monde immense. Un monde où le cerveau humain peut déployer ses capacités comme nulle part ailleurs. Pour exceller aux échecs, il faut de la mémoire et de la créativité. Les parties commencent souvent de manière prévisible, on déroule tranquillement, jusqu’au moment où les joueurs pénètrent dans l’inconnu. Ce moment de concentration intense où on se trouve confronté au domaine des possibles. On voit alors se dessiner des choix aux ramifications multiples et aux conséquences plus ou moins heureuses. Il est facile d’y voir une métaphore de la vie, cette succession de moments convenus dont naît parfois l’inattendu, lui-même pouvant déboucher sur la victoire.  

    A condition d’avoir su la provoquer ! Car aux échecs comme ailleurs, la notion de risque est essentielle quand on veut débloquer une situation. La solidité mentale aussi. Quand la partie est mal engagée, il faut rester serein et concentré si on espère revenir, un peu comme dans la vie face à l’adversité. De même qu’il faut savoir se montrer endurant. Lors de la sixième manche de leur confrontation, Carlsen et Nepomniachtchi ont explosé les compteurs en jouant huit heures d’affilée. Je vous laisse imaginer la dose de concentration, l’énergie nécessaires pour faire tourner son cerveau à un tel niveau de performance sur une durée aussi longue. Bien sûr, si on entend dépasser le stade de bon joueur pour devenir « maître », il faut un don. Mais même avec des prédispositions naturelles, rien n’est possible sans travail. Intelligence, audace, endurance, cocktail qui n’aboutit à rien sans un travail acharné : au fond, les échecs, c’est la discipline méritocratique par excellence !

    Albert Camus a dit un jour : « Le peu de morale que je sais, je l'ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. » Je pourrais en dire autant de mes parties d’échecs. C’est là que j’ai pris conscience de certaines valeurs qui me guident encore aujourd’hui. C’est pour cela que je compte m’engager pour la diffusion de cette pratique, en favorisant l’éclosion de jeunes talents. Affaire à suivre !

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