Vitaly Malkin
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Pourquoi j'aime Michel Houellebecq

    Crédit photo : Stefán Bianka, via Wikimedia Commons

    En ce début d’année sort le nouveau roman de Michel Houellebecq, son huitième, intitulé anéantir. Ses admirateurs vont se ruer sur le livre. Ses détracteurs vont continuer à le haïr, cherchant à lui coller sur le dos un de ces scandales qui ont émaillé sa carrière. Et comme toujours, les médias compteront les points. Merveilleux pays que la France, le seul pays au monde où la sortie d’un livre fait encore événement !  

    Ça fait longtemps que je considère Houellebecq comme l’un des plus grands artistes de l’époque. L’homme, déjà, me plaît. J’aime le je-m’en-foutisme apparent qui se dégage de son look, preuve que seul son art compte à ses yeux. J’aime qu’il s’attaque à des sujets jugés difficiles ou tabous, mais qui sont les seuls qui comptent. J’aime qu’il creuse son sillon en dépit des polémiques qui lui ont valu d’être considéré avec méfiance par la critique, avant qu’il reçoive tous les honneurs. Ces polémiques, on a souvent dit qu’il les provoquait. Qu’elles étaient un procédé marketing. Je suis persuadé du contraire. Pour moi, Houellebecq est un grand émotif. Un romancier qui dit le monde tel qu’il le sent. Un thermomètre humain branché sur l’époque et qui la régurgite sans filtre. C’est l’impression que j’ai en lisant ses livres.

    Difficile de dire quel est mon préféré. Les Particules élémentaires, son deuxième roman, a marqué les esprits. C’est sans doute là qu’on s’est rendu compte qu’on tenait un écrivain unique. Quelqu’un capable de poser un regard original sur le monde et qui n’oublie jamais de divertir ses lecteurs. J’aime les Particules parce que l’un des deux protagonistes est un scientifique, ce qui est assez rare dans les romans français. J’aime aussi qu’il aborde de front la grande question qui nous occupe tous : le sexe. Même s’il le fait sur un ton qui est resté sa marque de fabrique : le comique désespéré. Ou le désespoir traversé d’éclats de rire. 

    L’art de nous faire rire du pire 

    Houellebecq n’a jamais caché être un lecteur de Schopenhauer. Que nous dit ce philosophe ? Que la vie se déploie sans la moindre considération morale. Que l’homme est un animal comme les autres, un être mu par ses instincts biologiques, voué à la souffrance et à la mort. Que seules la création artistique et la réflexion désintéressée sur le monde peuvent lui apporter un peu de réconfort. Vision la plus pessimiste qui soit, dont Houellebecq a su tirer des pages désopilantes. C’est là où réside sa force : dans sa capacité à nous faire rire du pire. 

    Son livre suivant, Plateforme, va encore plus loin dans le constat d’une sexualité qui mène le monde. C’est peut-être celui-ci, mon préféré. Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, c’est l’histoire d’un projet visant à développer le tourisme sexuel comme solution aux problèmes de la planète. L’affaire s’achève dans un bain de sang provoqué par des terroristes islamistes. Signe assez incroyable qui devait se répéter quelques années plus tard avec Soumission et l’attentat contre Charlie Hebdo, le livre est sorti en 2001, quelques semaines avant le 11 septembre. 

    J’ai beau aimer son style et ses intrigues, ça ne veut pas dire que je suis en plein accord avec sa vision du monde. La plupart des héros houellebecquiens sont terrifiés par l’idée de la mort, au point de ne plus être capables de goûter à la vie. S’ils cherchent à se distraire, leurs tentatives sont, comme chez Pascal, toujours vouées à l’échec. Même le sexe leur apporte plus de chagrin que de consolation. Le sexe chez Houellebecq rend les hommes malheureux car c’est une expérience fugace, éphémère, de plus en plus inaccessible à mesure qu’on vieillit. Là-dessus, je refuse de le suivre. 

    Idem pour la religion. On sent Houellebecq taraudé par l’idée que l’homme sans Dieu est encore plus voué au malheur. Il y a dans ses romans la nostalgie pour une sorte d’âge d’or religieux qu’il n’a jamais connu, d’où son attirance pour les histoires de sectes et de prophètes. Il paraît qu’il a longtemps essayé de se convertir, du moins de (re)trouver la foi chrétienne dont l’aurait privé son éducation soixante-huitarde. La greffe n’a pas pris. Heureusement pour nous. Il se serait mis à écrire des livres pontifiants sur le bonheur à travers Dieu. Ou alors, il aurait arrêté d’écrire. 

    Même assagi, Houellebecq reste un merveilleux sismographe de l’époque 

    Impossible, quand on aborde l’aspect religieux, de ne pas évoquer Soumission. L’histoire est connue : le narrateur raconte l’arrivée au pouvoir en France d’un président prônant un islam modéré et les transformations qui s’ensuivent. Certains ont dit de ce livre qu’il était prophétique. Les nationalistes identitaires ont fait de Houellebecq une sorte de lanceur d’alerte et tout le monde, une fois encore, a crié au scandale. Mais le vrai scandale de cette histoire, c’est que tout s’y déroule à merveille ! Le narrateur, à l’image des Français, finit par trouver dans l’islam une solution acceptable, et même avantageuse, notamment grâce à l’instauration de la polygamie. Pour les femmes, c’est une autre affaire, mais de cela, l’auteur ne parle pas ou peu. 

    Parmi les nombreuses casseroles qu’il traîne, figurent les accusations de misogynie. Accusation trop rapide à mes yeux. On trouve dans ses pages de magnifiques portraits de femmes. Des femmes capables d’amour, de tendresse et de compassion, vertus qu’il estime de plus en plus rares, écrasées par l’individualisme du monde moderne. Dans La Carte et le Territoire, je crois me souvenir d’une Russe dont le narrateur tombe amoureux et qu’il abandonne par lâcheté, un des grands regrets de sa vie. 

    J’ai vu que Houellebecq s’était remarié voici quatre ans. Depuis, il donne le sentiment de s’être un peu assagi. Sérotonine, son avant-dernier livre, donnait parfois l’impression d’un best of. L’auteur y recyclait ses plus grands tubes. La dépression. La critique féroce du capitalisme. Le sexe, toujours plus décevant. Les courses au Monoprix. On a dit qu’il tournait en rond. Et s’il avait plutôt tendance à enfoncer le clou, comme tous les visionnaires ? 

    Que vaut anéantir ? Le titre, déjà, annonce la couleur. Cinquante nuances de gris. Les premiers lecteurs disent qu’il se dégage de ce roman, son plus long à ce jour, une certaine douceur, à défaut d’optimisme. Mais on y trouve aussi de nouvelles variations sur ses thèmes favoris : la mort, le déclin physique, le suicide de l’Occident. Ces calamités qui nous frappent, Houellebecq écrit pour les exorciser. Moi, je le lis pour en rire. 

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