Vitaly Malkin
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Réflexions à propos d’un mur

    Début novembre, les images de milliers de migrants massés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne ont fait la une de la presse internationale. Il été prouvé depuis que cet épisode était le fruit d’une manœuvre politique. Mais si cette manœuvre a pu être tentée, c’est que les Européens sont traumatisés pas les images d’immigrés massés à leurs frontières extérieures. Ces images attisent le sentiment d’invasion qui habite une partie d’entre eux.

    L’épisode polonais a constitué une sorte de réplique du choc de 2015, quand des centaines de milliers de réfugiés avaient afflué depuis la Syrie. Au point que Varsovie a annoncé la construction, pour le premier semestre 2022, d’un mur de 180 kilomètres le long de sa frontière avec la Biélorussie. Un projet présenté par le ministre de l’Intérieur polonais comme « absolument stratégique et prioritaire pour la sécurité de la nation et de ses citoyens ».

    Le mur est un invariant humain 

    C’est peu dire que le projet divise. Sous la plume d’un de ses contributeurs invités, un média français plutôt plutôt ferme sur les questions migratoires a qualifié d’inefficace l’annonce du gouvernent polonais. Et ce pour une raison simple, puisée à la source de l’Histoire : « aucun des grands murs édifiés par des empires souverains n’a réussi à contenir des envahisseurs (…) Vous n’interdirez jamais, en tout cas, pas avec un mur,  à des populations déshéritées, menacées de surcroît par le réchauffement climatique sur tous les bords de mer, de rêver à un ailleurs plus confortable. » Et l’auteur de ces lignes de prôner, à la place, une politique d’intégration plus musclée que celle aujourd’hui à l’œuvre.

    On peut débattre à l’infini de l’efficacité du projet polonais. Reste l’impulsion qui pousse les hommes à vouloir ériger des murs. Cette impulsion, il faut l’aborder calmement, en dehors de toute considération morale, sans y voir forcément une ficelle politicienne. C’est une question à laquelle je réfléchis beaucoup ces temps-ci. Pour ça, je me tourne non seulement vers le passé, mais aussi vers l’histoire récente. A la muraille de Chine et aux enceintes médiévales, répondent la barrière entre Israël et les territoires palestiniens, celle entre les Etats-Unis et le Mexique. Les hommes ont toujours ressenti la nécessité d’établir une distance entre eux. Spontanément, des groupes humains, partout et tout le temps, ont éprouvé le besoin de signifier à d’autres qu’ils ne voulaient pas vivre avec eux. Au-delà de l’efficacité qu’on lui prête, le mur occupe une fonction symbolique dans cet invariant humain. Le mur est la manifestation la plus frappante de la volonté séparatrice, qui peut prendre la forme du sas, de la bulle, du passeport ou du poste-frontière.

    Pendant une courte période, entre la chute de l’URSS et le 11-septembre, la prédominance d’un discours optimiste sur la mondialisation a pu laisser croire qu’on en avait fini avec les frontières « dures ». Hé bien non. C’était une anomalie, une vue de l’esprit qui aura duré dix ans. Depuis, les murs prolifèrent. Partout dans le monde, les mouvements de population suscitent la même angoisse existentielle. Partout, des dirigeants tentent de répondre à cette angoisse en renforçant la surveillance aux frontières. Cette angoisse n’a rien de scandaleux. On peut estimer, et c’est mon cas, qu’il existe des sociétés humaines, des collectifs porteurs de valeurs et d’une culture propre, qui ont démocratiquement le droit de décider qui peut ou non les rejoindre.

    L’Europe redécouvre la notion de frontière

    L’Europe est particulièrement mal à l’aise avec le sujet. En plus de porter haut l’idéal (abstrait) des droits de l’homme, l’Union européenne est un projet bâti sur l’abolition des frontières. Il est normal que ce soit la partie du monde où le concept de mur pose le plus de dilemmes moraux. A ce titre, le philosophe Ivan Krastev croit pouvoir discerner un changement de doctrine à la faveur de l’épisode polonais. « L’Union, qui est quand même fondée sur l’ouverture des frontières, est en train, en élargissant le cadre juridique des sanctions pour punir Minsk, de considérer de facto la frontière entre la Biélorussie et la Pologne comme les Hongrois considèrent leur frontière avec la Serbie, c’est-à-dire comme une vraie clôture (…) Tout cela fait partie des nombreuses remises en cause des croyances qui ont fondé l’Union européenne. » Ce changement, Krastev l’explique en grande partie par le vieillissement de la population, notamment à l’Est, un phénomène qui agite le spectre d’une disparition. « L’instinct universaliste disparaît quand vous ne vous sentez plus capables de transformer les autres mais que vous avez peur qu’eux vous transforment. »

    La remise en cause des vieilles croyances ira-telle jusqu’à une réhabilitation des murs ? Depuis le mur de Berlin, les murs contemporains sont presque toujours qualifiés de « murs de la honte ». Derrière ce lexique, on trouve l’idée (certes moralement admirable) qu’il existe une seule humanité. Que les individus qui la composent sont libres de s’installer partout où ils veulent, sans qu’on puisse leur opposer la notion de frontières. Et pourtant, si on regarde les enquêtes d’opinion, le contrôle de l’immigration est un sujet où les Européens, dans leur immense majorité, attendent davantage de fermeté. Au point qu’une bonne partie du débat public se polarise sur cette question. C’est encore plus frappant dans les Etats d’Europe centrale et orientale, qui regardent avec une grande méfiance les sociétés multiculturelles qui ont vu le jour côté occidental.

    Les Polonais vont construire leur clôture. Peut-être le feront-ils avec des fonds européens. Peut-être des considérations morales ou d’efficacité s’interposeront-elles entre temps. En attendant, les populations continueront d’affluer aux frontières de l’Europe, alimentant le désir de séparation. Quelque chose me dit qu’on n’a pas fini d’entendre parler de murs.

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