Vitaly Malkin
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Salman Rushdie contre la bêtise éternelle

    Si on met de côté la douceur des transats et autres bonheurs privés, l’été qui s’achève a été riche en événements inquiétants. Il y en a un sur lequel j’aimerais revenir en cette rentrée, c’est l’attentat au couteau qui a visé le romancier Salman Rushdie. Cet événement est la preuve que les défis dont tout le monde parle autour du climat ne doivent pas mettre au second plan un danger toujours vivace : celui de l’islam radical.

    Comme beaucoup de monde je suppose, j’ai été choqué par la violence du geste, par son caractère soudain et inattendu. Rushdie, fort heureusement, est sorti vivant de cette tentative d’assassinat, mais hélas, avec des séquelles. Quant à l’auteur des coups de couteau (l’auteur présumé, selon les subtilités du droit américain), il est trop tôt pour se prononcer sur ses motivations exactes. Mais tout dans son profil indique le fidèle fanatisé.

    Deux temporalités incompatibles

    Le plus terrible dans cette histoire, c’est qu’on avait fini par oublier le danger. Rushdie lui-même semblait ne plus croire à l’effectivité de la condamnation lancée contre lui par l’ayatollah Khomeiny, ou alors il avait succombé à la lassitude. De fait, il s’est écoulé plus de trente ans entre la proclamation de cette condamnation à mort et l’exécution de l’acte. Plus incroyable encore : l’auteur des coups de couteau n’était pas né quand Khomeiny a invité tous les musulmans à châtier le romancier intrépide.

    Cette question du temps est au coeur de l’inquiétude qui me saisit quand je pense à la portée de cet acte. L’attaque contre l’auteur des Versets Sataniques est la preuve que les extrémistes religieux ne sont pas branchés sur la même temporalité que le reste des humains, ceux qui vivent dans un temps séculier. C’est comme s’ils avaient tout leur temps. D’ailleurs pour eux, le temps terrestre n’existe pas. Seul compte celui de la vie éternelle, cette vie qu’ils espèrent gagner en obéissant aux sentences sorties de la bouche des interprètes auto-proclamés du Coran.

    J’imagine qu’en s’en prenant à un homme dont il n’avait sans doute jamais lu une ligne, l’assaillant pensait gagner sa place au paradis, faire l’amour à des vierges, bref, obtenir une récompense dans l’au-delà pour le service rendu à son prétendu dieu. Le même dieu qui était censé guider sa main et qui s’est révélé incapable d’accomplir jusqu’au bout sa prétendue vengeance… La grande leçon qu’on doit tirer de l’insistance des assassins d’Allah à remplir leur « mission » coûte que coûte, c’est qu’il est presque impossible de lutter contre la promesse d’une vie meilleure dans un autre monde. Aucune sanction, aucune menace, ne saurait dissuader d’agir celui qui a foi dans cette promesse. Tant qu’il y aura des fanatiques pour croire dans le mandat du ciel, les hommes ne seront jamais tranquilles.

    Une victoire par la peur

    Le plus préoccupant dans cette affaire, c’est que la vision fantasmatique de l’éternité propagée par les religieux a des effets bien réels sur le temps où vivent ceux qui se sont libérés des superstitions. Des effets sur ce qu’il est permis de dire et de ne pas dire. Des esprits subtils ont cru bon de souligner que dans son roman, improprement qualifié de « polémique », Rushdie n’avait en aucun cas attenté à la « dignité » des musulmans. Qu’il s’est contenté de broder une histoire sur des arguments théologiques relatifs à l’islam. Sous-entendu : on s’en est pris à une cible qui ne l’avait même pas cherché.

    L’argument témoigne de la confusion que les extrémistes religieux ont réussi à semer chez les esprits prétendus libres. Dans les sociétés libres, il n’y a pas de droit au blasphème. Dans les sociétés libres, il n’y a pas de blasphème, tout simplement parce qu’il n’y a pas de texte sacré (un terme qui pourrait éventuellement s’appliquer à la constitution, et encore, ça se discute). Les élucubrations des religieux, quelle que soit leur obédience, devraient être considérées au même niveau qu’un tweet. A savoir comme l’expression d’individus comme les autres, qui ont le droit de raconter autant de bêtises que les autres, et qu’on ne doit surtout pas ménager au motif qu’ils se sentent humiliés ou agressés.

    Voilà pour la théorie. Parce qu’en pratique, ce qui est arrivé à Salman Rushdie, à ses traducteurs assassinés, tout comme le sort des journalistes de Charlie Hebdo et des milliers de victimes d’attentats islamistes partout dans le monde a déjà changé la donne, et pour longtemps. Il suffit de lire les témoignages d’artistes, de journalistes, de romanciers qui avouent retenir leur plume par peur des conséquences pour mesurer la victoire remportée par les extrémistes religieux sur l’esprit des sociétés libres. La lutte contre le fanatisme sera de longue haleine. J’ai peur qu’elle s’avère encore plus difficile que la lutte engagée contre le changement climatique. La Terre aura pratiquement disparu sous des trombes d’eau ou dans des brasiers de feu qu’il restera toujours un disciple d’Abraham, du Christ ou de Mahomet pour dire que tout ça, c’est pour la plus grande gloire de dieu.

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